Ecocide et droit international : l’imperatif de protection de la planetE

L’écocide, qu’est-ce que c’est ?

Pour comprendre les enjeux de la notion d’écocide, une définition préalable s’impose.

Si l’on remonte à la racine étymologique, le terme écocide vient du grec oïkos (maison) et du latin caedere (tuer) : tuer la maison, tuer notre maison, la Terre. Derrière cette notion, il y a l’idée de dommages particulièrement graves commis par l’Homme contre l’environnement.

Théorisé dans le contexte de la guerre du Vietnam par un groupe de scientifiques afin de dénoncer les conséquences environnementales de l’épandage de l’agent orange, puissant défoliant déversé par l’armée américaine sur les forêts vietnamiennes, le concept d’écocide a évolué et tend aujourd’hui à être employé dans un contexte de paix.

Dès 1972, lors de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement à Stockholm, le premier ministre suédois Olaf Palme met en exergue dans son discours « [l]es limites de ce que notre environnement peut tolérer et [l]es dangers de l’écocide », qu’il désigne comme une destruction grave de la nature.

Quelques cinquantaines d’années plus tard, en juin 2021, un comité d’experts indépendants, mandaté par la Fondation Stop Ecocide, a proposé une définition juridique internationale du crime d’écocide visant les « actes illicites ou arbitraires commis en connaissance de la réelle probabilité de causer à l’environnement des dommages graves, étendus ou durables ».

 Il s’agit donc des crimes environnementaux les plus graves. Comment sont-ils sanctionnés par le droit international ?

Dans nos sociétés occidentales régies par la rationalité et la prééminence des États et des individus sur les systèmes naturels (ce qu’on appelle l’anthropocentrisme), le fait de pénaliser les crimes commis contre la Nature ne va pas de soi.

En témoignent les nombreux débats qui s’articulent autour de l’incrimination de l’écocide tant dans le droit international que dans les droits nationaux.

En 1998, 120 États adoptent le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), et décident d’accepter la compétence de la Cour, chargée de poursuivre les crimes les plus graves touchant l’ensemble de la communauté internationale, à savoir : le crime de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, et le crime d’agression, ajouté à la suite de la première Conférence de révision du Statut de Rome en juin 2010.

Dès les années 1970, la notion d’écocide était apparue dans les travaux des institutions internationales mais sans jamais se solder par une incrimination en droit international.

A ce jour, la seule hypothèse dans laquelle une atteinte à l’environnement est sanctionnée pénalement en droit international concerne les dommages commis dans le contexte des conflits armés.

C’est l’article 8, 2, b, IV du Statut de Rome qui qualifie les atteintes les plus graves au milieu naturel de crimes de guerre comme « le fait de diriger intentionnellement une attaque en sachant qu'elle causera incidemment (...) des dommages durables et graves à l'environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l'ensemble de l'avantage militaire concret et direct attendu ».

A la lecture de cet article, on comprend que la CPI n’est pas compétente pour sanctionner la criminalité environnementale en dehors des conflits armés. En temps de paix, l’écocide n’est donc pas sanctionné par le droit international en tant que tel.

 Qu’apporterait une intégration de l’écocide dans le Statut de Rome ?

 A plusieurs reprises, face à ce vide juridique, des tentatives d’incrimination de l’écocide en droit international ont eu lieu, mais sans jamais aboutir.

 En 1973, un projet de Convention internationale sur le crime d’écocide est présenté au cours du processus de révision de la Convention sur le génocide de 1948, visant à intégrer l’incrimination de la destruction de l’environnement. Mais cette Convention ne sera pas adoptée, faute d’accord trouvé entre les États parties quant à la question de l’élément intentionnel du crime d’écocide.

 En 1986, la Commission du droit international (Comité des Nations Unies composé d’experts en droit international) propose d’intégrer dans le statut de la CPI le crime d’écocide et de permettre ainsi à la Cour d’avoir compétence pour traiter des actes causant de graves dommages à l’environnement. Là encore, le projet d’incrimination de l’écocide à un niveau international ne voit pas le jour, pour des raisons politiques.

En 2010, l’avocate militante Polly Higgins présente à la Commission du droit international une proposition d’amendement au Statut de Rome afin d’y intégrer un cinquième crime contre la paix, l’écocide, qu’elle définit comme « la destruction, l'endommagement ou la perte d'écosystèmes d'un territoire donné, que ce soit par l'action de l'homme ou par d'autres causes, à un point tel que la jouissance paisible par les habitants de ce territoire s'en trouve ou s'en trouvera gravement diminuée ».

Dans cette définition, l’atteinte portée à l’environnement met l’accent sur l’habitabilité du territoire endommagé.

Cette notion « d’habitabilité du monde » a été développée par le philosophe Baptiste Morizot. Dans une interview au Monde, il explique que « [n]ous héritons d’une manière de voir le monde qui établit une distinction entre, d’un côté, le monde humain et politique et, de l’autre, la nature, vue comme un ensemble inerte de ressources matérielles. Mais notre habitabilité est constituée d’interdépendances multiples ».

De ce point de vue, l’interdépendance existant entre la Nature et l’Homme conditionne notre habitabilité au monde.

Cette approche d’interdépendance entre la Nature et l’Homme est fondamentale pour aller vers une reconnaissance de l’écocide en droit international. En changeant notre manière de percevoir la Nature, non plus comme des ressources inépuisables et inertes mais plutôt comme un ensemble d’écosystèmes vivants et interdépendants dont fait partie l’Homme, l’idée de devoir protéger les crimes les plus graves commis contre l’environnement par le droit international apparaît alors non seulement légitime mais aussi nécessaire.

Il faut repenser notre manière de percevoir notre place dans le monde et l’intégrer juridiquement dans les textes. Du point de vue de la protection de l’environnement, le droit international pourrait avoir une influence et un pouvoir considérables. 

 Quelles sont les évolutions récentes sur le sujet ?

Le Procureur de la CPI, Karim A.A Khan KC, a déclaré lors d’une Conférence internationale sur l’environnement, tenue à Paris en février 2024, qu’un projet de politique générale visant à faire prévaloir le principe de responsabilité pour les crimes environnementaux relevant du Statut de Rome, serait publié d’ici décembre 2024. La volonté du Procureur est de faire prévaloir le principe de responsabilité et de lutter contre la criminalité environnementale sans pour autant passer par une modification du Statut de Rome.

En déclarant que « les dommages environnementaux constituent une menace existentielle pour la vie sur terre », le Procureur de la CPI entend souligner l’importance de cette nouvelle politique. Il n’en reste pas moins que la compétence de la Cour restera limitée au contexte des conflits armés, et que subsiste toujours une absence d’incrimination de l’écocide en dehors de ce contexte. Une notion phare qui n’a pas fini de faire parler d’elle en tout état de cause.

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