Démocratie, droit de l’environnement et générations futures : doit-on craindre une régression?
Le droit de l'environnement est éminemment lié aux politiques publiques des Etats.
On le voit aujourd’hui avec le retour au pouvoir de Donald Trump, dont l'une des premières mesures aura été de retirer de nouveau les Etats-Unis de l'Accord de Paris sur le climat, ou d'ordonner à l'administration américaine de bannir les pailles en papier pour revenir aux pailles en plastic à usage unique.
Ouvertement climato-sceptique, le président américain, qui qualifie le réchauffement climatique de « canular », s'engage vers une régression du droit de l'environnement.
Ce constat amène à s'interroger sur le lien entre la santé des démocraties et la protection de l'environnement.
Est-on à l'abris en Europe et en France d'un retour en arrière en matière écologique au gré des changements politiques et en particulier avec la montée en puissance de l'extrême droite dans les Etats européens ?
L'environnement est-il en danger dès lors que des crises politiques et démocratiques apparaissent ?
La protection de l'environnement participe d'une démocratisation, elle implique que les citoyens puisse être informés en matière environnementale, qu'ils puissent accéder à la justice et participer au processus décisionnel en la matière, par exemple par le biais d'enquêtes publiques.
C’est tout l'objet de la Convention d'Aarrhus signée le 25 juin 1998 par 39 Etats.
On parle de démocratie environnementale, avec l'idée sous-jacente d'une participation des citoyens en mesure de contribuer au devoir de protéger l'environnement.
Aujourd'hui, l'environnement a été intégré dans toutes les Constitutions des Etats membres.
En France, la démocratie participative environnementale est consacrée à l'article 2 de la Charte de l'environnement qui, rappelons le, a valeur constitutionnelle : « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement ».
En principe, les changements de politiques publiques ne devraient pas permettre de retour en arrière en matière d 'environnement en vertu du principe de non-régression du droit de l'environnement.
En droit interne, le principe de non-régression figure à l'article L110-1-II 9° du code de l'environnement, et est défini comme le principe « selon lequel la protection de l'environnement, assurée par les dispositions législatives et règlementaires relatives à l'environnement, ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ».
Il en résulte que le droit de l'environnement fait partie de la catégorie des droits intangibles, il ne peut faire l'objet que d'améliorations constantes.
Pourtant, le gouvernement de Michel Barnier a publié fin décembre 2024 un projet de décret supprimant l'examen par la Commission nationale du débat public des gros projets d'équipement industriels, constituant une violation flagrante du principe de non-régression.
Du point de vue du droit européen, dès 2011, le Parlement européen avait demandé dans sa position commune en préparation de la Conférence de Rio +20, « que le principe de non-régression soit reconnu dans le contexte de la protection de l'environnement et des droits fondamentaux ».
L'Union européenne a consacré la non-régression dans l'Accord sur le Brexit du 14 novembre 2018 (Partie 2, Article 2).
La Cour de justice de l'Union européenne, dans un arrêt rendu le 18 mai 2021, a reconnu le principe de non-régression en matière d'organisation de la justice. Elle affirme en effet qu'« un État membre ne saurait donc modifier sa législation de manière à entraîner une régression de la protection de la valeur de l’État de droit, valeur qui est concrétisée, notamment, par l’article 19 TUE. »(§162).
En droit international, le principe de non-régression fait partie des grands principes du droit international de l'environnement. Il est issu de la réflexion de juristes en vue de la Conférence de Rio de 2012. L'idée était d'ajouter ce principe à la liste des grands principes déjà énoncés par la Déclaration de Rio de 1992 : prévention, précaution, pollueur-payeur, participation du public.
Consacré dans la Déclaration finale de la Conférence de Rio+20 intitulée « L'avenir que nous voulons », le principe de non-régression figure au paragraphe 19 qui rappelle « la nécessité de poursuivre la mise en œuvre des engagements souscrits précédemment » et au paragraphe 20 qui souligne qu’« il est essentiel de ne pas revenir sur les engagements souscrits lors de la Conférence de 1992 ».
Le principe de non-régression a été consacré dans des lois nationales, au Mexique, en Côte d'Ivoire, en Uruguay. Certains Etats l'ont même introduits dans leurs Constitutions, affirmant ainsi l'importance que revêt la non-régression en matière environnementale : c'est le cas des constitutions équatorienne et tunisienne.
A plusieurs reprises, des propositions ont vu le jour afin d'intégrer ce principe dans la Constitution française, mais sans succès jusqu'ici.
Une consécration constitutionnelle du principe de non-régression en France permettrait d'éviter les retours en arrière que connaissent actuellement les Etats-Unis.
L'environnement a besoin d'une démocratie en bonne santé. Quand la démocratie va mal, l'environnement va mal.
Une vigilance s'impose donc aux juristes, mais aussi aux citoyens afin que les pouvoirs publics n'adoptent pas des mesures qui amoindriraient le niveau de protection de l'environnement.
Pour cela, rappelons que tous citoyens bénéficie d'un pouvoir de participation dans l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement, consacré par l'article 7 de la Charte de l'environnement « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement. »
Au vue de l'actualité politique mondiale, alors qu'à l'heure où sont écrites ces lignes, le président américain interdit aux scientifiques d'employer des mots tels que « femme » et « changements climatiques » dans leurs travaux sous peine de suppression des financements, il n'est pas impensable de transposer au droit de l’environnement l'appel à la vigilance lancé par Simone de Beauvoir à propos des droits des femmes : « N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant ».