RENDRE SES DROITS A lA NATURE
La question de savoir si la Nature devrait pouvoir être protégée juridiquement ne date pas d’hier. Dès 1972, Christopher Stone, juriste américain, publie son article intitulé « Should trees have standing? », en français « Les arbres doivent-ils pouvoir plaider? ». Alors que la Compagnie Walt Disney envisage de construire une station de ski dans la vallée de Mineral King, une région riche en séquoias, le juriste plaide en faveur d’une reconnaissance de droits dont devraient pouvoir bénéficier les forêts devant les juges. Le Sierra Club, une ONG oeuvrant pour la protection de l’environnement, avait contesté le permis autorisant cette exploitation, et les juges de la Cour suprême avaient alors considéré que le Sierra Club ne subissant pas directement de préjudice, il n’avait pas la possibilité d’ester en justice.
Pourquoi ne pas dire que le préjudice est subi par la Vallée de Mineral King ? C’est l’idée développée par Stone selon laquelle la Nature devrait avoir sa propre voix.
Si à l’époque les juges ont rejeté cette idée, il en est tout autrement aujourd’hui, et on le voit à travers plusieurs décisions tendant à reconnaître des droits « aux rivières, aux lacs, aux estuaires, aux plages, aux crêtes montagneuses, aux bosquets d’arbres, aux marais, et même à l’air », ainsi que le proposait le juge de la Cour suprême William O. Douglas au sujet de l’Affaire Sierra Club contre Morton.
L’intérêt d’accorder la personnalité juridique à la Nature est de lui permettre d’agir en justice pour défendre et rétablir ses droits.
Comment ce mouvement de reconnaissance de droits à la Nature se traduit-il dans les différents systèmes juridiques? Ici s’opère une distinction entre les Etats qui reconnaissent des droits à la Nature dans son ensemble, et ceux qui reconnaissent des droits à certains éléments de la Nature.
En 2008, l’Equateur confère à la Nature dans son entièreté la qualité de sujet de droit en tant que Terre nourricière.
En 2011, la Bolivie adopte un amendement constitutionnel équivalent explicitement les droits de la Nature à ceux des humains. Cet amendement prévoit que la Nature a le droit de ne pas être affectée par des projets d’infrastructure et de développement qui perturbent l’équilibre des écosystèmes ou des communautés locales.
Quant aux Etats reconnaissant des droits à certains éléments de la Nature, l’Inde a octroyé une personnalité juridique au Gange et à son affluent, le Yamuna, en raison de la forte pollution des eaux.
En 2019, la justice brésilienne inspirée du principe de la dignité humaine a rendu un jugement historique reconnaissant les animaux non humains comme sujets de droit et sujets de dignité.
Cette tendance ne se limite pas à l’Amérique du Sud. Les droits de la Nature ont été codifiés en Afrique du Sud, au Nigéria, en Ouganda.
En 2017, la Commission Africaine des droits de l’Homme et des peuples a reconnu la valeur intrinsèque des sites naturels sacrés appelant à leur protection.
En Nouvelle-Zélande, le Parlement a reconnu à la rivière Whanguanui le statut d’entité vivante, permettant au cours d’eau de défendre ses droits et intérêts en justice.
On observe à travers le prisme de ces décisions, un changement de regard juridique sur le vivant. Alors que le monde est aux portes de la sixième extinction massive, il est évident que ce changement de point de vue anthropocentré vers un point de vue biocentré, voir écocentré s’impose aujourd’hui.
A l’ère du commencement de la sixième extinction massive, le discours du chef amérindien Seattle (1786-1866), prononcé en 1854 alors que le quatorzième Président des Etats-Unis, Franklin Pierce, envisage d’acheter près d’un million d’hectares de territoires aux peuples amérindiens, garde encore aujourd’hui tout son sens : « Comment pouvez-vous acheter ou vendre le ciel, la chaleur de la terre ? L’idée nous paraît étrange. Si nous ne possédons pas la fraîcheur de l’air et le miroitement de l’eau, comment est-ce que vous pouvez les acheter ?
Nous savons que l’homme blanc ne comprend pas nos mœurs. Une parcelle de terre ressemble pour lui à la suivante, car c’est un étranger qui arrive dans la nuit et prend à la terre ce dont il a besoin. La terre n’est pas son frère mais son ennemi, et lorsqu’il l’a conquise, il va plus loin.
Il traite sa mère la terre, et son frère le ciel, comme des choses à acheter, piller, vendre, comme les moutons ou les perles brillantes. Son appétit dévorera la terre et ne laissera derrière lui qu’un désert. »
On le voit, les droits de la Nature ont de beaux jours devant eux. Il s’agit de reconnaître les écosystèmes et leurs éléments comme porteurs de droits justiciables parce que les humains ne sont qu’une partie d’une communauté plus large, et que le bien être de chaque membre de la communauté dépend du bien-être de la terre dans son ensemble. Oeuvrer pour les droits de la Nature, c’est oeuvrer pour la recherche d’un équilibre entre les droits des humains, des animaux et de la Nature.